La Révocation du Président de l’Instance Nationale de la Lutte contre la Corruption Chaouki Tabib
Après l’approbation du conseil ministériel sur la décision de la
destitution de Chaouki Tabib, président de l’INLUCC, le décret-loi du chef du
gouvernement n°578-2020 a été publié le 25 aout 2020 dans le Journal Officiel
de la République Tunisienne (JORT). Dans le même contexte, le décret-loi n°
577-2020 a été publié et a porté sur la nomination de Imed Boukhris comme
président de l’INLUCC en succession de Chaouki Tabib.
Est-ce que la révocation de Chaouki Tabib est légal ?
I-
Cadre Juridique
Selon l’article 19 du décret cadre 120-2011 du 14 Novembre 2011 relatif
à la lutte contre la corruption « Le président de l’instance est
désigné par décret sur proposition du gouvernement parmi les personnalités
nationales indépendantes réputées pour leur compétence dans le domaine
juridique. Le président de l’instance veille à son bon fonctionnement, préside
ses audiences, la représente auprès des tiers et conserve sa documentation.
Dans le cadre des fonctions qui lui sont dévolues, le président exerce les
attributions suivantes : 1- assurer la supervision administrative et financière
de l’instance et de ses fonctionnaires, 2- préparer le projet du budget annuel,
3- superviser l’élaboration du rapport annuel de l’instance et sa soumission à
la ratification du conseil de l’instance, 4- demander le détachement de
fonctionnaires et agents pour exercer au sein de l’instance et recruter des
contractuels conformément à la législation en vigueur. 5- désigner le
secrétaire général de l’instance qui assure la consignation de ses
délibérations et veille à son fonctionnement administratif sous la direction du
président. Le président peut déléguer par écrit certaines de ses attributions
au vice-président ou à tout membre de l’organe de prévention et d’investigation. ».
Le chef du gouvernement désigne le président de l’instance sans préciser si
le chef du gouvernement a le droit d’émettre le président de l’instance ni
préciser les procédures de cette émission.
L’article 22 précise que « … Le mandat du président et
des membres de l’organe de prévention et d’investigation est fixé à six ans non
prorogeable, et la moitié des membres est renouvelée tous les trois ans. » sans
évoquer aussi la question de la révocation du président.
L’article 45 de
la loi organique n° 2017-59 du 24 août 2017, relative à l'Instance de la bonne
gouvernance et de la lutte contre la corruption prévoit que la possibilité
de la révocation du président de cette instance en cas de faute grave ou en cas
de condamnation pénale par un jugement définitif.
II-
Interprétation
Il faut noter qu’on n’a pas un texte légal qui prévoit la révocation du
président de l’instance cela ouvre la porte pour un débat juridique sur la
légitimité de la décision. Deux positions peuvent être avancé à ce stade.
1-
Un avis favorable pour la conformité de la décision à la loi en se
basant sur le principe de parallélisme des formalités puisque l’article 19 du
décret cadre donne la compétence exclusive au chef du gouvernement de désigner
le président de l’instance. Donc, ce dernier peut selon ce principe révoquer le
président de ses fonctions.
2-
Un avis qui articule la non-conformité de la décision de la révocation à
la loi :
a-
En se basant sur une interprétation juridique restreinte :
Le décret cadre 120-2011 du 14 Novembre 2011
relatif à la lutte contre la corruption n’a pas précisé dans tous ses articles
les modes de révocation du président de l’instance cependant il a précisé la
durée de son mandat (6 ans).
L’article 45 de la loi organique n° 2017-59 du
24 août 2017, relative à l'Instance de la bonne gouvernance et de la lutte
contre la corruption stipule que la possibilité de la révocation du président
de cette instance en cas de faute grave ou en cas de condamnation pénale par un
jugement définitif.
Après une lecture profonde des 3 articles, on peut conclure que le mandat
du président est de 6 ans successif et sa révocation ne peut être prise que en
cas de faute grave ou de condamnation pénale définitive.
b-
En se basant sur l’éthique politique et la transition
démocratique :
La décision de révoquer le président de l’instance
sans expliquer les motifs ou les raisons sonne comme une revanche à l’encontre
de l’instance et de son président suite à l’affaire de conflit d’intérêts du
chef du gouvernement. Cette décision porte des conséquences graves sur la
question de l’indépendance de ces instances et de l’issue de la jeune
démocratie dans le futur.
Si on dote le chef du gouvernement, impliqué dans
une affaire de corruption ou de conflit d’intérêt, d’émettre le président de
l’instance qui a évoqué ce dossier, la question qui se pose est-ce qu’un chef
du gouvernement peut être juge et partie dans ce cas ? Est-ce qu’un
chef du gouvernement sortant peut prendre des décisions assez graves qui
peuvent influencer le parcours démocratique ?
III-
Conclusion
On estime que la décision d’émettre brutalement le président de
l’instance par le chef du gouvernement démissionnaire parait non-légitime de
point de vue juridique et constitue une atteinte au principe de loyauté et aux
éthiques politiques. Elle constitue aussi un pas grave qui peut nuire à la
transition démocratique en Tunisie si on donne l’occasion aux responsables
politiques de reprendre de la main gauche ce que l’on a donné de la main
droite.
Chouki Tabib a le droit de recours au tribunal administratif pour excès
de pouvoir entre temps il peut statuer devant le juge des référés administratif
pour demander l’arrêt de l’exécution de la décision du chef de gouvernement provisoirement
le temps qu’une décision sur le fond sera prise par le tribunal administratif.
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